Le départ de Florine et Elzéar (conte)

Conte sur le départ de Florine et Elzéar.

Elzéar pousse les portes de la cathédrale de Lectoure et remonte la nef en courant. Sa casaque sur le dos, il s’arrête devant les marches du chœur sur lesquelles se trouve Florine et, d’un geste théâtral, ôte son chapeau aux belles plumes bleues. Son visage est lumineux, marqué par une grande fierté et l’impatience de connaître la gloire du combat. Toute la ville ne parle que de ça ! Les tambours résonnent et font vibrer les murs de la cathédrale !

Soudain, le jeune homme se fige. Florine sourit mais ne montre pas autant d’enthousiasme que lui. Il remarque enfin le baluchon qu’elle serre devant elle entre ses mains. Elzéar lui demande alors si elle quitte son père. La jeune fille répond que non, au contraire, elle va à sa rencontre. Celui qu’elle va chercher n’est pas le maître verrier de Lectoure. Elle lui explique avec ces mots :

— Celui que je vais chercher, je le découvrirai sur les sentiers poudreux qui mènent jusqu’en Galice. Regardez ces vitraux, Elzéar ! Depuis toujours, ils me racontent la vie du Christ et évoquent le passage des pèlerins qui ont fait étape ici. Vous, vous entendez le tambour qui appelle à la gloire du combat ; moi, j’entends la joie de ceux qui cheminent vers Compostelle. Leurs chants m’émeuvent autant que leurs efforts. Ils témoignent d’un amour, d’une grandeur qui me pousse à les suivre. Je veux connaître cette joie.

C’est donc au pied de cet autel que leurs chemins se séparent. Elzéar le sait. Il a le cœur lourd mais l’âme sereine car il accomplit son devoir. Derrière Florine, deux silhouettes s’approchent : ce sont des jacquaires avec leur chapeau frappé d’une coquille, leur habit marron et leur bourdon. Il est l’heure de partir. Alors, la jeune fille s’éloigne.

Elzéar reste seul un moment, debout, face à cette croix suspendue dans le chœur qui a été témoin de ses choix et de son parcours. Puis, il entend la voix de Bertin, le capitaine, qui l’appelle. Les cadets attendent sur le parvis de la cathédrale. Leur monture est sellée, ils doivent se mettre en route. Elzéar met un pied à l’étrier. Entouré de ses frères d’armes, Bertin, Octave et Gontran,
il part à La Rochelle servir la France.
Le régiment des cadets avance chaque jour malgré la pluie battante et les vents cinglants. Les routes sont dangereuses en ces temps de guerre, même pour un homme bien armé. La Rochelle n’est plus qu’à quatre lieues ; les éclaireurs ont déjà signalé la présence des Anglais. Tout le monde est sur le qui-vive. Les cavaliers entrent alors dans une forêt plus noire que la nuit, aux arbres nus, tordus vers un ciel gris. Le capitaine, en tête de file, vient de s’arrêter. Son cheval renâcle bruyamment. L’officier tend l’oreille et fait signe de ne plus bouger. Silence…

PAN ! Un coup de feu vient d’être tiré à droite ! Attention ! PAN ! Un autre sur la gauche ! C’est
une embuscade ! Les espions anglais les attendaient. PAN ! Ils sont pris au piège.
Elzéar voit ses amis se disperser. Il est perdu. Il entend son prénom partout. Il voudrait s’échapper, mais il est incapable de bouger, la peur le paralyse. Cependant, lorsqu’il voit Octave tomber de cheval, une force venue de nulle part le saisit. Il dégaine son fleuret et s’élance ! Il saute à terre et se dresse aussitôt comme un rempart devant son ami à ses pieds. L’adversaire engage alors le combat qui se poursuit au son des entrechocs métalliques des lames. L’Anglais est tenace mais Elzéar est guidé par cette puissante volonté de protéger son camarade, quoi qu’il en coûte ! Un faux pas… et l’Anglais se retrouve à genoux. Elzéar, immobile, est pris d’un doute. Il se retrouve face à un homme qui lui ressemble, qui sert son pays, prêt à se sacrifier. Il regarde alors autour de lui. Les cadets ont le dessus sur leurs assaillants. Il pourrait faire de ce soldat son prisonnier ! Mais il choisit de l’épargner. Il ignore encore pourquoi. Il s’écarte et le laisse partir. Les Anglais sont en déroute.

Les paroles de Florine résonnent désormais dans sa tête. Elle voulait vivre et témoigner de l’amour de Dieu. Cette joie, cette simplicité, le saisissent d’une force innommable, ça le dépasse ! Il découvre un désir plus grand, plus fort que le prestige et la gloire du combat. Il sait qu’il est prêt à relever celui qui se tient à ses côtés. Il sait qu’il veut tenir sa parole et que les autres puissent compter dessus. Il comprend : pour la première fois, il ne s’échappe pas, il se donne, il découvre la grandeur d’âme.